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13 mars 2025
Comment assurer la succession de vos cryptomonnaies ?
Lorsqu’il s’agit de transmettre des crypto-actifs (bitcoins, tokens…) soit de son vivant (donation), soit à son décès (succession), le droit fiscal français applique en grande partie les mêmes règles que pour n’importe quel autre bien du patrimoine.
Les cryptomonnaies étant des biens meubles incorporels, elles sont incluses dans l’actif successoral ou soumis aux droits de donation au même titre qu’un portefeuille titres ou qu’une œuvre d’art.
Cependant, leur nature digitale soulève quelques points spécifiques : comment les valoriser ? comment prouver leur propriété ? Comment les léguer pratiquement ?
Voici ce que vous devez retenir afin de transmettre au mieux vos cryptomonnaies.
Donations de cryptomonnaies (transmissions entre vifs)
Principe fiscal
Donner des cryptomonnaies à quelqu’un (membre de la famille, ami, etc.) n’entraîne pas d’imposition sur le revenu pour le donateur.
En effet, une donation n’est pas une cession à titre onéreux : le donateur ne réalise pas de plus-value imposable au sens de l’IR lors du transfert.
Vous pouvez donc transmettre des crypto-actifs sans payer la flat tax sur la plus-value latente. L’impôt éventuellement dû sera du côté du bénéficiaire (donataire) sous forme de droits de donation, selon les règles classiques des mutations gratuites.
Par ailleurs, le bénéficiaire reprendra les actifs avec une valeur d’acquisition égale à la valeur au jour du don (en pratique, cela signifie que s’il revend plus tard, la plus-value sera calculée par rapport à la valeur au moment de la donation, pas par rapport au prix original d’achat par le donateur – il y a une “step-up” de base fiscale).
Droits de donation
Les donations sont soumises à taxation selon le lien de parenté entre donateur et donataire, après application d’abattements.
Chaque bénéficiaire a droit, tous les 15 ans, à un abattement sur la valeur reçue, puis la fraction au-delà est taxée selon un barème progressif.
Les principaux abattements actuellement en vigueur sont :
Lien de parenté (donateur -> donataire) | Abattement appliqué (renouvelable tous 15 ans) |
Enfant (ligne directe) | 100 000 € |
Petits-enfants | 31 865 € |
Arrières-petits-enfants | 5 310 € |
Conjoint ou partenaire PACS | 80 724 € |
Frères et soeurs | 15 932 € |
Neveu / Nièce | 7 967 € |
Handicapé (donataire atteint d’invalidité) | 159 325 € (cumulable avec les autres selon le lien) |
Autre lien (oncle -> neveu sans enfants, ami etc) | 0 € (pas d’abattement spécifique en l’absence de lien familial direct) |
En plus de ces abattements, il existe un dispositif distinct de don familial en argent exonéré (31 865 € tous les 15 ans sous conditions de lien et d’âge).
Cependant, cet avantage ne concerne que les dons en numéraire (argent) et ne s’applique pas aux dons en nature tels que des cryptos – sauf à les convertir en euros avant donation, ce qui fait perdre l’intérêt de l’exonération puisque la conversion déclencherait l’impôt sur la plus-value.
Après abattement, le montant taxable de la donation est soumis aux tarifs progressifs des droits de mutation, qui dépendent également du lien de parenté.
Par exemple :
- En ligne directe (parents -> enfants) : barème allant de 5 % (sur la tranche < 8 932 €) à 45 % (au-delà de 1 805 677 €), par paliers successifs. En pratique, une donation de 50 000 € d’équivalent bitcoin d’un père à son fils serait totalement couverte par l’abattement de 100k€, et aucun droit n’est dû. Une donation de 200 000 € à un enfant donnerait, après abattement 100k, 100 000 € taxables selon le barème (5% sur ~8.9k, 10% sur ~4k, 15% sur ~15k, 20% sur ~471k…). Le montant total serait d’environ 11 000 € de droits.
- Entre époux/PACS : barème identique à la ligne directe (5 % à 45 %). Ainsi, un époux peut donner jusqu’à 80 724 € à son conjoint sans droits (abattement), puis les tranches du barème s’appliquent. Toutefois, rappelons que léguer à son conjoint au décès est exonéré (voir la partie successions plus bas), donc il peut être plus avantageux d’attendre la succession car aucune limite alors.
- Entre frères et sœurs : barème distinct, 35 % jusqu’à 24 430 € puis 45 % au-delà. Avec l’abattement de ~15 932 €, cela signifie qu’une donation de 50 000 € à un frère serait taxée sur ~34 068 € : 35 % sur 24 430 puis 45 % sur le reste. Cela représente environ 12 887 € de droits à payer.
- Entre non-parents ou parents éloignés (oncle -> neveu non dispensable) : taux fixe de 60 % après le faible abattement (1 594 € en général pour les non-parents). Autant dire que les transmissions hors famille proche sont très lourdement taxées.
Modalités pratiques
Une donation de cryptomonnaies peut être effectuée “manuellement” (par simple transfert de wallet à wallet) ou par acte notarié.
Juridiquement, un transfert de crypto sans contrepartie est un don manuel. Il doit être déclaré à l’administration fiscale par le bénéficiaire via le formulaire Cerfa n°2735, dans le mois qui suit la donation, afin de liquider les droits de donation.
Il est fortement conseillé de formaliser la donation par écrit, voire via un notaire, ne serait-ce que pour prouver la date et la valeur des actifs donnés. En effet, la valeur de référence est celle au jour du don : il faudra fournir une preuve de valorisation (par ex. capture du cours moyen sur une plateforme reconnue ce jour-là, ou attestation).
Le notaire peut aider à inscrire la donation dans un acte (surtout si montants importants) et à évaluer les actifs. Si la donation est consentie à un mineur ou une personne incapable, un notaire est nécessaire.
Fiscalement, les droits de donation sont à la charge du bénéficiaire, mais c’est souvent le donateur qui les prend en charge en pratique (ce qui est admis, sans que cela soit considéré comme une donation supplémentaire). À noter que si les droits sont réglés par le donateur, cela ne diminue pas les abattements disponibles.
3 points de vigilance
- Traçabilité et preuve de propriété : Assurez-vous de pouvoir démontrer que vous détenez bien les crypto-actifs que vous souhaitez donner (par des relevés de compte d’exchange ou preuves de possession du wallet). Et conservez la preuve du transfert au bénéficiaire (ID de transaction sur la blockchain, etc.).
- Valorisation : La volatilité des cryptos peut poser problème. Une solution est de réaliser la donation quand le marché est relativement stable, ou de convertir en stablecoin le temps de la donation pour figer une valeur. Sinon, utilisez un prix moyen sur 24h officiel (il existe des indices ou cours de référence). L’administration pourrait contester une sous-évaluation intentionnelle (ce qui constituerait une fraude). En cas de doute, mieux vaut surévaluer légèrement pour ne pas risquer de redressement.
- Réversibilité : Contrairement à un virement bancaire, un envoi de crypto est quasi-irrécupérable. Donc assurez-vous de ne pas vous tromper d’adresse ! De plus, une fois le don fait, le bénéficiaire est propriétaire et le donateur n’a plus de contrôle (sauf donation avec réserve d’usufruit, cf notre article à propos des optimisations fiscales).
Exemples concrets
- Sophie donne 2 BTC à sa fille unique en 2025. Le jour de la donation, 2 BTC valent 60 000 €. L’abattement en ligne directe de 100 000 € couvre entièrement la valeur, donc 0 € de droit. La fille reçoit les 2 BTC nets. Si elle revend plus tard ces 2 BTC par exemple à 80 000 €, elle paiera la flat tax sur la plus-value post-donation uniquement (80k – 60k = 20k de gain).
- Un oncle fait une donation d’Ethers d’une valeur de 10 000 € à son neveu préféré. L’abattement neveu étant ~7 967 €, la base taxable est ~2 033 €. Le neveu paiera ~2 033 × 55% (barème oncles/neveux : 55 % jusqu’à 24k) ≈ 1 118 € de droits.
- Marc transfère 5 000 € en USDT à un ami en guise de don. N’étant pas parents, abattement 0, la totalité 5 000 € est taxée à 60% = 3 000 € de droits (!) à payer par l’ami. On voit que les donations hors famille sont peu efficaces fiscalement.
Successions (transmissions au décès)
Au décès d’une personne, tous ses biens, y compris les cryptomonnaies qu’elle possédait, intègrent sa masse successorale et sont soumis aux droits de succession de droit commun. L’évaluation se fait à la valeur vénale au jour du décès.
Les mêmes abattements par héritier s’appliquent (par ex. 100k pour chaque enfant sur ce qu’il reçoit) et le même barème progressif selon degré de parenté. Notons une différence majeure : le conjoint survivant et le partenaire PACS sont exonérés de droits de succession (depuis 2007, ils héritent en franchise d’impôt, contrairement aux donations entre époux qui elles, après abattement, suivent le barème).
Les enfants, eux, ont l’abattement de 100k chacun sur la part reçue, puis barème 5 % à 45 %.
Frères/sœurs bénéficient d’une exonération seulement dans des cas particuliers (célibataires > 50 ans vivant avec le défunt, etc.), sinon abattement 15 932 € et barème 35/45 %.
Spécificités pratiques
L’enjeu principal pour les successions de crypto-actifs est l’accès aux wallets et comptes du défunt.
Contrairement à un compte bancaire qui sera géré par le notaire, les crypto-actifs sont auto-détenus (si wallet privé) ou sur des plateformes souvent étrangères. Il est impératif que les héritiers/conjoints connaissent l’existence de ces avoirs et puissent y accéder.
Il est fortement recommandé pour tout détenteur important de cryptos de laisser des instructions (par exemple dans un testament ou une lettre chez un notaire) indiquant comment accéder aux wallets (localisation des clés privées ou seed phrase, mots de passe, etc.).
Sans ces informations, les crypto-actifs risquent d’être perdus à jamais, et ne profiter ni aux héritiers… ni au fisc.
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Le saviez-vous ?
Chez RUFIJI Capital vous pouvez remplir un document afin d’indiquer les personnes à contacter en cas de décès ou d’invalidité.
Ce document ne remplace pas votre testament, il nous permet simplement de contacter vos proches si nous n’avons plus de nouvelles de votre part depuis plusieurs mois par exemple.
Vous pouvez également transmettre ce document à votre notaire pour qu’il soit au courant que vous avez un compte chez nous.
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D’un point de vue légal, les héritiers doivent déclarer les crypto-actifs dans la déclaration de succession (formulaire 2705) en mentionnant leur nature et valeur. Le notaire peut les aider à évaluer au jour du décès (par une attestation de valeur).
Si la valeur est très élevée, il peut y avoir un débat sur la liquidité pour payer les droits : les héritiers devront peut-être vendre une partie des crypto pour payer les droits sous 6 mois (délai de paiement en métropole).
Il existe des possibilités de paiement différé ou fractionné des droits de succession, voire de dation en paiement (mais difficilement applicable à des actifs numériques).
Fiscalité
Comme évoqué, elle suit le barème des successions.
Exemple : un célibataire laisse à son décès 2 M€ de patrimoine dont 200k€ en cryptos, à son fils unique. La tranche au-delà de 1.8 M€ est taxée 45 %.
Environ 600k€ de droits seront dus (sur l’ensemble, pas spécifiquement sur les cryptos).
Ces droits doivent être payés en euros aux impôts par l’héritier, quitte à convertir une partie des crypto en euros pour ce faire.
A contrario, si un défunt laisse 50k€ en cryptos à un ami non parent, l’ami devra payer 60% de 50k = 30k€ de droits (s’il accepte le legs).
Donation ou succession : que privilégier ?
Fiscalement, pour les descendants, transmettre de son vivant ou au décès revient quasiment au même barème (sauf que les abattements se renouvellent tous les 15 ans en cas de donations étalées).
Pour le conjoint, en revanche, la succession est bien plus favorable (0 %) que la donation (après 80k, barème).
Ainsi, si le but est de transmettre à son conjoint, il peut être judicieux de le faire par héritage (d’autant que le conjoint survivant bénéficie d’une protection légale via le droit viager au logement, etc.).
Pour les enfants, l’optimisation consiste souvent à faire des donations étalées dans le temps pour profiter plusieurs fois des abattements.
Exemple : donner 100k de bitcoin à son fils en 2025, puis encore 100k en 2040, permet de transmettre 200k sans droits, alors qu’en une fois en succession 200k – 100k abattement = 100k taxés (~11k de droits).
En cas d’une succession non planifiée !
Supposons quelqu’un décède sans avoir informé sa famille qu’il possédait des cryptos sur une plateforme étrangère.
Si la famille l’ignore, ces actifs ne seront pas déclarés et resteront en déshérence.
Si plus tard l’administration découvre ces comptes (via échanges automatiques ou autre), les héritiers pourraient être redressés pour omission d’actifs dans la déclaration de succession, avec pénalités.
Il est donc crucial de documenter son patrimoine numérique d’une manière ou d’une autre.
Certaines personnes utilisent des coffres-forts numériques, ou confient à un notaire une enveloppe contenant les instructions d’accès, à n’ouvrir qu’en cas de décès.
En résumé, donation et succession de cryptomonnaies obéissent aux mêmes mécanismes fiscaux que pour les autres biens. Il n’y a pas de régime de faveur spécifique (ni de pénalité spécifique) : une crypto vaut ce qu’elle vaut et sera taxée en proportion.
L’absence de formalisation inhérente aux cryptos oblige à être très vigilant pour préparer sa transmission : sans démarches anticipées, vous risquez soit de surpayer l’impôt (si mal évalué ou mal structuré), soit de faire face à des difficultés pratiques pour que vos proches récupèrent vos avoirs numériques.